拍品專文
Longue de trois mètres, cette œuvre monumentale date d'une période charnière de la carrière de Sam Francis. Des éclats ardents de rouge et de jaune partent ici à la rencontre de taches évanescentes de vert, de bleu et de violet. Un peu partout, les éclaboussures de couleur répandent leurs gouttes et leurs sillons sur l'immensité blanche de la toile. Peint en 1980, ce tableau reflète pleinement l'exubérance du geste et du format qui caractérisent les vingt dernières années, magistrales, de la carrière de l'artiste. C'est durant cette période qu'il adhère avec ferveur au projet artistique de la Régie, Recherches, art et industrie, ayant été sollicité par Claude-Louis Renard pendant les années 1970. Il faut dire que le Californien a le profil idéal pour cet ambitieux programme de soutien à la création contemporaine : une insatiable soif d'innovation, des liens forts avec la France, une inclination pour les voyages, un penchant pour les voitures... Aussi, l'arrivée dans l'écurie Renault de ce monstre sacré de l'abstraction américaine d'après-guerre, et la collaboration fructueuse qui s'ensuit, marquent un tournant décisif dans le rayonnement international du projet.
C'est lors d'une longue hospitalisation à la fin de la Seconde Guerre mondiale que naît la vocation de peintre de Sam Francis. Engagé dans l'armée de l'air américaine, il est victime d'une tuberculose osseuse à la suite d'un accident d'avion en 1944. Fasciné par les reflets mouvants qu'il aperçoit sur le plafond de sa chambre d'hôpital, il observe la lumière changeante et la variation des couleurs au fil des heures. Très vite, il renonce à ses études de médecine et se met à peindre en autodidacte, avant de se former aux beaux-arts à l'université de Berkeley, où il s'abreuve des enseignements d'artistes comme Clyfford Still ou Mark Rothko. En 1950, il s'installe à Paris. Il se lie d'amitié avec un certain nombre d'expressionnistes abstraits de la seconde génération, dont Jean-Paul Riopelle et Joan Mitchell, qui résident alors dans la capitale. C'est aussi à Paris qu'il s'imprègne des leçons des postimpressionnistes français : il est profondément touché par les Nymphéas de Claude Monet et par les recherches chromatiques d'Henri Matisse, de Pierre Bonnard et de Paul Cézanne.
Grand voyageur, Sam Francis ne cesse de parcourir le monde après son retour en Californie en 1962. Il s'intéresse tout particulièrement à l'art, à la culture et à la philosophie qu'il découvre au Japon : notamment le « ma », un concept qui considère l'espace vierge, l'intervalle, comme l'une des composantes essentielles de toute forme esthétique. L'Américain en hérite une sensibilité raffinée, une prédisposition pour les interactions subtiles entre les vides et les pleins. Il en fait la sève-même de son expression. Lumière et obscurité papillonnent à l'unisson sur ses supports, s'entraînant l'une et l'autre dans leur course. L'intensité des teintes est exaltée par le vertige des étendues blanches qui les entourent. Pendant vingt ans, l'artiste approfondit ces recherches, variant la dynamique du dialogue entre peinture et vacuité. Les « Edge paintings » des années 1960 relègueront la couleur aux bords de la toile pour laisser en son centre un espace béant, intact, comme une zone offerte à la contemplation. Au début des années 1970, les « Fresh Air paintings » se laissent au contraire aller au hasard d'un geste plus spontané, dont les furtives explosions de pigments rompent le silence blanc de la toile. Exposées en 1978 au Centre Pompidou, les « Matrix paintings » adoptent quant à elles une approche beaucoup plus structurée du plan pictural où, parmi un frémissant quadrillage de couleurs, les trouées régulières du fond vierge ouvrent des fenêtres sur le néant.
Cette œuvre de 1980 voit le jour à l'apogée de cette période virtuose. Si le réseau de lignes géométriques qui sous-tend la composition résonne, sous certains aspects, avec la série des ‘Matrix’, l'ensemble témoigne surtout d'un nouvel engouement pour la texture et la souplesse des coulures, que l'artiste mêle à des taches informes ; une expression de l'instinct qui débouchera sur l'ultime phase, triomphale, de sa production. Ici, les innovations des dix années précédentes sont palpables : on retrouve notamment cette monumentalité qui oblige de plus en plus Sam Francis à se tenir debout sur ses toiles, posées à même le sol, pour pouvoir y appliquer ses pigments. Fluides, opalescents, les envoûtants voiles de couleurs évoquent aussi ses expériences récentes avec le Photo-Flo, un agent mouillant qui favorise l'écoulement de la peinture et la formation de poches de teintes, semblables à de l'aquarelle. L'œuvre qui en découle est une déflagration de vie et de mouvement, l'image-même de la spontanéité : celle d'un artiste qui mit sa vie au service de la couleur et de la lumière. Et qui tenta d'en révéler les secrets, dans le marc de peinture.
C'est lors d'une longue hospitalisation à la fin de la Seconde Guerre mondiale que naît la vocation de peintre de Sam Francis. Engagé dans l'armée de l'air américaine, il est victime d'une tuberculose osseuse à la suite d'un accident d'avion en 1944. Fasciné par les reflets mouvants qu'il aperçoit sur le plafond de sa chambre d'hôpital, il observe la lumière changeante et la variation des couleurs au fil des heures. Très vite, il renonce à ses études de médecine et se met à peindre en autodidacte, avant de se former aux beaux-arts à l'université de Berkeley, où il s'abreuve des enseignements d'artistes comme Clyfford Still ou Mark Rothko. En 1950, il s'installe à Paris. Il se lie d'amitié avec un certain nombre d'expressionnistes abstraits de la seconde génération, dont Jean-Paul Riopelle et Joan Mitchell, qui résident alors dans la capitale. C'est aussi à Paris qu'il s'imprègne des leçons des postimpressionnistes français : il est profondément touché par les Nymphéas de Claude Monet et par les recherches chromatiques d'Henri Matisse, de Pierre Bonnard et de Paul Cézanne.
Grand voyageur, Sam Francis ne cesse de parcourir le monde après son retour en Californie en 1962. Il s'intéresse tout particulièrement à l'art, à la culture et à la philosophie qu'il découvre au Japon : notamment le « ma », un concept qui considère l'espace vierge, l'intervalle, comme l'une des composantes essentielles de toute forme esthétique. L'Américain en hérite une sensibilité raffinée, une prédisposition pour les interactions subtiles entre les vides et les pleins. Il en fait la sève-même de son expression. Lumière et obscurité papillonnent à l'unisson sur ses supports, s'entraînant l'une et l'autre dans leur course. L'intensité des teintes est exaltée par le vertige des étendues blanches qui les entourent. Pendant vingt ans, l'artiste approfondit ces recherches, variant la dynamique du dialogue entre peinture et vacuité. Les « Edge paintings » des années 1960 relègueront la couleur aux bords de la toile pour laisser en son centre un espace béant, intact, comme une zone offerte à la contemplation. Au début des années 1970, les « Fresh Air paintings » se laissent au contraire aller au hasard d'un geste plus spontané, dont les furtives explosions de pigments rompent le silence blanc de la toile. Exposées en 1978 au Centre Pompidou, les « Matrix paintings » adoptent quant à elles une approche beaucoup plus structurée du plan pictural où, parmi un frémissant quadrillage de couleurs, les trouées régulières du fond vierge ouvrent des fenêtres sur le néant.
Cette œuvre de 1980 voit le jour à l'apogée de cette période virtuose. Si le réseau de lignes géométriques qui sous-tend la composition résonne, sous certains aspects, avec la série des ‘Matrix’, l'ensemble témoigne surtout d'un nouvel engouement pour la texture et la souplesse des coulures, que l'artiste mêle à des taches informes ; une expression de l'instinct qui débouchera sur l'ultime phase, triomphale, de sa production. Ici, les innovations des dix années précédentes sont palpables : on retrouve notamment cette monumentalité qui oblige de plus en plus Sam Francis à se tenir debout sur ses toiles, posées à même le sol, pour pouvoir y appliquer ses pigments. Fluides, opalescents, les envoûtants voiles de couleurs évoquent aussi ses expériences récentes avec le Photo-Flo, un agent mouillant qui favorise l'écoulement de la peinture et la formation de poches de teintes, semblables à de l'aquarelle. L'œuvre qui en découle est une déflagration de vie et de mouvement, l'image-même de la spontanéité : celle d'un artiste qui mit sa vie au service de la couleur et de la lumière. Et qui tenta d'en révéler les secrets, dans le marc de peinture.