拍品專文
Les dessins associés au grand peintre vénitien Jacopo Tintoretto appartiennent généralement à l’une des deux catégories suivantes : des dessins de figures en rapport avec ses peintures, ou des dessins d’après des sculptures. Alors que les premiers se concentrent sur les contours de la pose d’une figure, les seconds, en revanche, portent davantage sur les effets d’ombre et de lumière. Plus d’une centaine de dessins sont connus et, comme John Marciari l’a récemment argumenté, la plupart doivent être considérés comme le travail d’assistants de l’atelier, fait. Il semble que les dessins aient été réalisés comme des exercices dans l’atelier du Tintoret, soit d’après une sculpture, soit d’après une étude du maître d’une sculpture (1). La plus reproduite semble avoir été un bronze de taille réduite d’après un modèle de Michel-Ange représentant Samson et les Philistins, suivie des tombes médicéennes dans la Sagrestia Nuova à San Lorenzo à Florence, et d’un buste antique, sur lequel on s’étendra plus bas.
Les beaux traits – idéalisés – du recto du présent dessin sont ceux de Giuliano de’ Medici, ou Julien de Médicis (1479-1516), fils de Laurent le Magnifique, tel que représenté par Michel-Ange dans la statue assise sur sa tombe à San Lorenzo. Le dessinateur s’est concentré uniquement sur la tête sculptée, en soulignant son inclinaison vers le bas, comme si le modèle était plongé dans ses pensées. Avec des traits verticaux puissants « comme une pluie battante » (2) il a créé des zones d’ombre profondes, qui contrastent avec les zones plus claires et les rehauts. Comme pour la plupart des dessins de sculptures de l’entourage du Tintoret, les dessinateurs ont possiblement travaillé d’après une réplique de la sculpture (ou d’une partie de celle-ci), plutôt que d’après l’original de Florence ; une telle réplique aurait permis à l’artiste de représenter le modèle sous des angles qui ne sont pas facilement visibles dans la chapelle.
Le catalogue des dessins du Tintoret de 1975 de Paola Rossi en accepte trois représentant la tête de Giuliano comme autographes, un à Francfort et deux à Oxford (3). L’une des feuilles de cette dernière collection montre la tête sous le même angle que la présente feuille (4). Deux études sur une feuille recto-verso à Florence sont beaucoup plus faibles (5). Quoi qu’il en soit, la version d’Oxford est certainement moins bien conservée que le présente feuille, dont l’état est excellent, le papier et le pigment bleu du support étant pratiquement intacts.
La longue bibliographie relative au dessin concerne surtout son verso, qui est ici reproduit en couleur pour la première fois. De style assez différent de l’étude du recto, l’auteur en est identifié par une grande inscription précisant que « cette tête est de la main de la Madone Marietta », c’est-à-dire de la fille bien-aimée du Tintoret, parfois surnommée « Tintoretta ». L’écriture pourrait en effet être celle du père (6). Mentionnée et louée par les premiers biographes du Tintoret et l’objet d’études récentes (voir Bibliographie), elle serait née d’une liaison que le peintre a eue avec une Allemande. Elle était éduquée et musicienne de talent, et jeune fille, elle était habillée en garçon. Comme d’autres femmes artistes des XVIe et XVIIe siècles, comme Artemisia Gentileschi et Elisabetta Sirani, Marietta a été formée à la peinture par son père, et elle semble avoir été une bonne portraitiste. Toutefois, le présent dessin, ou du moins son verso, est la seule œuvre de Marietta dont l’attribution est sûre, et en fait l’une des rares œuvres du groupe de dessins d’après des sculptures de l’atelier du Tintoret dont l’auteur est connu avec certitude.
Le sujet du dessin est la tête d’un homme corpulent, dessinée d’après un moulage que Tintoret possédait d’un buste en marbre découvert à Rome, censé représenter l’empereur Vitellius. Appartenant au cardinal Domenico Grimani, celui-ci l’avait apporté à Venise en 1523 (fig. 1) (7). Le dessin confirme les premiers récits de la vie et de l’activité de Marietta en tant que membre douée de l’atelier de son père, qui travaillait sur un pied d’égalité avec certains de ses frères et d’autres compagnons masculins. De plus, en tant que dessin d’une artiste féminine du XVIe siècle, il est d’une grande rareté et rappelle avec force à la fois les possibilités dont jouissaient les femmes artistes du passé et les restrictions dont elles souffraient.
Fig. 1. Rome, vers 100-150 avant J.-C., Buste d’un homme (« Vitellius Grimani »). Museo Archeologico Nazionale, Venise.
(1) J. Marciari, op. cit., pp. 90-113.
(2) C. Virch, ‘A Study by Tintoretto after Michelangelo’, The Metropolitan Musem of Art Bulletin, XV, 1956, p. 111.
(3) Städel Museum, Francfort, inv. 15701 ; et Christ Church Picture Gallery, inv. 357, 354 (Rossi, op. cit., pp. 39-40, 50, figs. 17-21 ; J. Byam Shaw, op. cit., Oxford, 1976, I, nos 758, 760, II, figs. 429, 432, 433). Pour d’autres versions, voir Rossi, op. cit., p. 40.
(4) Christ Church Picture Gallery, inv. 357 (Byam Shaw, op. cit., I, no 758, II, fig. 429, comme Tintoret ; C. Whistler, Drawing in Venice. Titian to Canaletto, cat. exp., Oxford, Ashmolean Museum, 2015-2016, no 51, ill., comme Tintoret).
(5) Savage, op. cit., pp. 42-43.
(6) Gabinetto degli Disegni e Stampe, Gallerie degli Uffizi, inv. 1841 F (A. Petrioli Tofani, Inventario. Disegni di figura, II, Florence, 2005, p. 380, ill.).
(7) Marciari, op. cit., pp. 98-101. Voir aussi Rossi, op. cit., pp. 46-47, 51, 56-57, figs. 1-3 ; et Whistler, op. cit., 2015-2016, nos 55, 56, ill.
Les beaux traits – idéalisés – du recto du présent dessin sont ceux de Giuliano de’ Medici, ou Julien de Médicis (1479-1516), fils de Laurent le Magnifique, tel que représenté par Michel-Ange dans la statue assise sur sa tombe à San Lorenzo. Le dessinateur s’est concentré uniquement sur la tête sculptée, en soulignant son inclinaison vers le bas, comme si le modèle était plongé dans ses pensées. Avec des traits verticaux puissants « comme une pluie battante » (2) il a créé des zones d’ombre profondes, qui contrastent avec les zones plus claires et les rehauts. Comme pour la plupart des dessins de sculptures de l’entourage du Tintoret, les dessinateurs ont possiblement travaillé d’après une réplique de la sculpture (ou d’une partie de celle-ci), plutôt que d’après l’original de Florence ; une telle réplique aurait permis à l’artiste de représenter le modèle sous des angles qui ne sont pas facilement visibles dans la chapelle.
Le catalogue des dessins du Tintoret de 1975 de Paola Rossi en accepte trois représentant la tête de Giuliano comme autographes, un à Francfort et deux à Oxford (3). L’une des feuilles de cette dernière collection montre la tête sous le même angle que la présente feuille (4). Deux études sur une feuille recto-verso à Florence sont beaucoup plus faibles (5). Quoi qu’il en soit, la version d’Oxford est certainement moins bien conservée que le présente feuille, dont l’état est excellent, le papier et le pigment bleu du support étant pratiquement intacts.
La longue bibliographie relative au dessin concerne surtout son verso, qui est ici reproduit en couleur pour la première fois. De style assez différent de l’étude du recto, l’auteur en est identifié par une grande inscription précisant que « cette tête est de la main de la Madone Marietta », c’est-à-dire de la fille bien-aimée du Tintoret, parfois surnommée « Tintoretta ». L’écriture pourrait en effet être celle du père (6). Mentionnée et louée par les premiers biographes du Tintoret et l’objet d’études récentes (voir Bibliographie), elle serait née d’une liaison que le peintre a eue avec une Allemande. Elle était éduquée et musicienne de talent, et jeune fille, elle était habillée en garçon. Comme d’autres femmes artistes des XVIe et XVIIe siècles, comme Artemisia Gentileschi et Elisabetta Sirani, Marietta a été formée à la peinture par son père, et elle semble avoir été une bonne portraitiste. Toutefois, le présent dessin, ou du moins son verso, est la seule œuvre de Marietta dont l’attribution est sûre, et en fait l’une des rares œuvres du groupe de dessins d’après des sculptures de l’atelier du Tintoret dont l’auteur est connu avec certitude.
Le sujet du dessin est la tête d’un homme corpulent, dessinée d’après un moulage que Tintoret possédait d’un buste en marbre découvert à Rome, censé représenter l’empereur Vitellius. Appartenant au cardinal Domenico Grimani, celui-ci l’avait apporté à Venise en 1523 (fig. 1) (7). Le dessin confirme les premiers récits de la vie et de l’activité de Marietta en tant que membre douée de l’atelier de son père, qui travaillait sur un pied d’égalité avec certains de ses frères et d’autres compagnons masculins. De plus, en tant que dessin d’une artiste féminine du XVIe siècle, il est d’une grande rareté et rappelle avec force à la fois les possibilités dont jouissaient les femmes artistes du passé et les restrictions dont elles souffraient.
Fig. 1. Rome, vers 100-150 avant J.-C., Buste d’un homme (« Vitellius Grimani »). Museo Archeologico Nazionale, Venise.
(1) J. Marciari, op. cit., pp. 90-113.
(2) C. Virch, ‘A Study by Tintoretto after Michelangelo’, The Metropolitan Musem of Art Bulletin, XV, 1956, p. 111.
(3) Städel Museum, Francfort, inv. 15701 ; et Christ Church Picture Gallery, inv. 357, 354 (Rossi, op. cit., pp. 39-40, 50, figs. 17-21 ; J. Byam Shaw, op. cit., Oxford, 1976, I, nos 758, 760, II, figs. 429, 432, 433). Pour d’autres versions, voir Rossi, op. cit., p. 40.
(4) Christ Church Picture Gallery, inv. 357 (Byam Shaw, op. cit., I, no 758, II, fig. 429, comme Tintoret ; C. Whistler, Drawing in Venice. Titian to Canaletto, cat. exp., Oxford, Ashmolean Museum, 2015-2016, no 51, ill., comme Tintoret).
(5) Savage, op. cit., pp. 42-43.
(6) Gabinetto degli Disegni e Stampe, Gallerie degli Uffizi, inv. 1841 F (A. Petrioli Tofani, Inventario. Disegni di figura, II, Florence, 2005, p. 380, ill.).
(7) Marciari, op. cit., pp. 98-101. Voir aussi Rossi, op. cit., pp. 46-47, 51, 56-57, figs. 1-3 ; et Whistler, op. cit., 2015-2016, nos 55, 56, ill.