拍品专文
« Je veux peindre comme si je me précipitais sur un champ de bataille, me donnant totalement jusqu’à l’épuisement. » - Kazuo Shiraga
Avec ses tourbillons de couleurs comme balayés par le tumulte de l’énergie terrestre, Chikeisei Saienshi (1962) est un exemple monumental des « peintures aux pieds » de Kazuo Shiraga. Sur une toile de près de deux mètres de large, des pans entiers de pigments fusionnent brutalement, évoquant le choc des corps et des membres. Des noirs profonds s’enchevêtrent à des rouges sanglants ; des éclaboussures d’ocre s’unissent au bleu pour exploser dans un vert fascinant ; des éclats de toile brute révèlent des gouttelettes de couleur éclaboussées. Pour créer cette œuvre, Shiraga avait mis au point une technique singulière : il était en hauteur, suspendu à une corde et utilisait ses pieds pour manipuler les flaques de peinture. Les boucles et les taches figurent la trace de ses talons et de ses orteils s’agrippant à la toile.
Shiraga se revendiquait du mouvement « Gutai » qui a émergé au Japon au milieu des années 1950. Abandonnant les outils traditionnels au profit de son propre corps, l’artiste s’est plongé dans l’arène de la toile, situant son travail quelque part entre la peinture et la performance. Chikeisei Saienshi tire son titre du nom d’un personnage de Water Margin, l’un des « quatre grands romans classiques » de la littérature chinoise, connu en japonais sous le patronyme de Suikoden. Cette œuvre fut exposée lors de Shiraga Kazuo : The Water Margin Series, en 2018 à Amagasaki, la ville natale de l’artiste, une exposition qui commémorait les 10 ans de sa mort.
Shiraga a été initié aux pratiques artistiques occidentales contemporaines en 1951, lorsque la troisième exposition indépendante de Yomiuri s’est tenue à Osaka. Il était alors particulièrement fasciné par les œuvres de Jackson Pollock et de Mark Rothko. Dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, à l’heure où le Japon se découvrait une nouvelle identité, Shiraga s’identifiait à l’individualisme radical de ces plasticiens. Les artistes Gutai – exhortés par leur fondateur Jirō Yoshihara à « créer ce qui n’a jamais été fait auparavant » – considéraient que la matière et l’esprit étaient en dialogue, cherchant à exprimer leur moi le plus profond à travers la collision du corps et de la matière.
Shiraga a cessé d’utiliser des pinceaux et des couteaux à palette en 1954 et a commencé à étaler la peinture avec ses mains et ses doigts, puis, dans un éclair d’inspiration, avec ses pieds. Se contentant d’abord de marcher sur des papiers recouverts de peinture, il accrocha bientôt une corde au plafond de son atelier afin de se lancer énergiquement à l’assaut de ses toiles, éclaboussant la peinture dans son sillage.
Shiraga a d’abord refusé de donner un titre à ses « peintures aux pieds », estimant que cela nuirait à leur réception. Pour des raisons pratiques, à partir de 1958 environ, il a commencé à les nommer méthodiquement d’après les 108 guerriers hors-la-loi de Water Margin, dont il appréciait les récits sanglants depuis son enfance.
Ces personnages avaient également été représentés dans une célèbre série d’estampes d’Utagawa Kuniyoshi (1827-1830). Shiraga admettait que leurs personnalités et leurs actions extrêmes avaient influencé sa propre approche de la peinture. Il a souvent abordé la lutte artistique entre la matière et le corps en termes martiaux et viscéraux, la violence et la beauté étant selon lui étroitement liées.
Selon certains critiques d’art, ces œuvres reflètent le traumatisme de la guerre et une résistance au régime militariste japonais. Malgré leur taille monumentale, les peintures de Shiraga n’étaient en réalité motivées que par les instincts immédiats de son corps. Sa technique exclut toute conception préméditée, toute arrière-pensée ou toute retouche – un principe intrinsèque aux formes traditionnelles de calligraphie qu’il avait étudiées dans sa jeunesse. Dans Chikeisei Saienshi, la toile n’est plus un écran destiné à recevoir un objet représenté ou un état d’esprit exprimé, mais un lieu d’action brute et expérimentale.
‘’I want to paint as though rushing around a battlefield, exerting myself to collapse from exhaustion.’’ - Kazuo Shiraga
With its rich swirls of impasto swept into a tumult of earthy energy, Chikeisei Saienshi (1962) is a monumental example of Kazuo Shiraga’s ‘foot paintings’. Across a canvas almost two metres wide, swathes of sculptural pigment collide and merge, evoking a clashing of bodies and limbs. Deep blacks tangle with bloody reds; splashes of ochre unite with blue to explode into green. Flashes of raw canvas reveal flung droplets of spattered colour. Using his trademark technique, Shiraga created the work from above, hanging from a rope and using his feet to manipulate pools of paint. Its loops and smears trace the drag of his heels and the grip and stamp of his toes. Shiraga was a member of the Gutai movement that emerged in Japan in the mid-1950s. By abandoning traditional tools in favour of his own body, he plunged himself into the arena of the canvas, situating his work somewhere between painting and performance art. Chikeisei Saienshi takes its title from the name of a character in Water Margin, one of the ‘Four Great Classical Novels’ in Chinese literature, known in Japanese as Suikoden. The painting was included in Shiraga Kazuo: The Water Margin Series, a 2018 exhibition in Shiraga’s hometown of Amagasaki that commemorated a decade since the artist’s passing.
Shiraga was introduced to contemporary Western art practices in 1951, when the third Yomiuri Independent Exhibition travelled to Osaka. He was particularly fascinated by the work of Jackson Pollock and Mark Rothko. At a time when Japan was discovering a new identity in the years after the Second World War, he identified with their radical individualism. The Gutai artists—exhorted by their founder Jirō Yoshihara to ‘create what has never been done before’—understood matter and spirit as existing in dialogue, seeking to express their innermost selves through the collision of body and material. Shiraga stopped using brushes and palette knives in 1954, beginning to smear paint with his hands and fingers, and then, in a flash of inspiration, his feet. At first simply stepping on paint-covered paper on the floor, he soon hung a rope from his studio ceiling in order to launch himself energetically across his canvases, smearing and splashing paint in his wake. Where Western ‘action painters’ maintained a certain remove from their various arenas—Pollock, for example, dripped from pierced paint tins, and Yves Klein would direct the action of female models to make his Anthropométries—Shiraga fused himself, body and soul, with the very fibre of his work.
Shiraga initially declined to title his foot paintings, believing that it would interfere with their reception. For practical reasons, from around 1958 he began to methodically name them after the 108 warrior outlaws of Water Margin, whose blood-soaked narratives he had enjoyed since his childhood. These characters had also been depicted in a famous series of prints by Utagawa Kuniyoshi (1827-1830). Shiraga admitted that their extreme personalities and actions informed his own all-out approach to the paintings. He often discussed the artistic struggle between material and body in martial, visceral terms, with violence and beauty closely intertwined. This aspect of Shiraga’s work has been understood to reflect the trauma of war, and a resistance to the militarist Japanese regime. For all their suggestive grandeur, however, Shiraga’s paintings were driven solely by the immediate instincts of his body. His technique excluded premeditated design, second thoughts or retouching—a principle intrinsic to the traditional forms of calligraphy he had studied in his youth. In Chikeisei Saienshi, the canvas is no longer a screen to receive a depicted object or an expressed state of mind, but a site of raw, experiential action.
Avec ses tourbillons de couleurs comme balayés par le tumulte de l’énergie terrestre, Chikeisei Saienshi (1962) est un exemple monumental des « peintures aux pieds » de Kazuo Shiraga. Sur une toile de près de deux mètres de large, des pans entiers de pigments fusionnent brutalement, évoquant le choc des corps et des membres. Des noirs profonds s’enchevêtrent à des rouges sanglants ; des éclaboussures d’ocre s’unissent au bleu pour exploser dans un vert fascinant ; des éclats de toile brute révèlent des gouttelettes de couleur éclaboussées. Pour créer cette œuvre, Shiraga avait mis au point une technique singulière : il était en hauteur, suspendu à une corde et utilisait ses pieds pour manipuler les flaques de peinture. Les boucles et les taches figurent la trace de ses talons et de ses orteils s’agrippant à la toile.
Shiraga se revendiquait du mouvement « Gutai » qui a émergé au Japon au milieu des années 1950. Abandonnant les outils traditionnels au profit de son propre corps, l’artiste s’est plongé dans l’arène de la toile, situant son travail quelque part entre la peinture et la performance. Chikeisei Saienshi tire son titre du nom d’un personnage de Water Margin, l’un des « quatre grands romans classiques » de la littérature chinoise, connu en japonais sous le patronyme de Suikoden. Cette œuvre fut exposée lors de Shiraga Kazuo : The Water Margin Series, en 2018 à Amagasaki, la ville natale de l’artiste, une exposition qui commémorait les 10 ans de sa mort.
Shiraga a été initié aux pratiques artistiques occidentales contemporaines en 1951, lorsque la troisième exposition indépendante de Yomiuri s’est tenue à Osaka. Il était alors particulièrement fasciné par les œuvres de Jackson Pollock et de Mark Rothko. Dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, à l’heure où le Japon se découvrait une nouvelle identité, Shiraga s’identifiait à l’individualisme radical de ces plasticiens. Les artistes Gutai – exhortés par leur fondateur Jirō Yoshihara à « créer ce qui n’a jamais été fait auparavant » – considéraient que la matière et l’esprit étaient en dialogue, cherchant à exprimer leur moi le plus profond à travers la collision du corps et de la matière.
Shiraga a cessé d’utiliser des pinceaux et des couteaux à palette en 1954 et a commencé à étaler la peinture avec ses mains et ses doigts, puis, dans un éclair d’inspiration, avec ses pieds. Se contentant d’abord de marcher sur des papiers recouverts de peinture, il accrocha bientôt une corde au plafond de son atelier afin de se lancer énergiquement à l’assaut de ses toiles, éclaboussant la peinture dans son sillage.
Shiraga a d’abord refusé de donner un titre à ses « peintures aux pieds », estimant que cela nuirait à leur réception. Pour des raisons pratiques, à partir de 1958 environ, il a commencé à les nommer méthodiquement d’après les 108 guerriers hors-la-loi de Water Margin, dont il appréciait les récits sanglants depuis son enfance.
Ces personnages avaient également été représentés dans une célèbre série d’estampes d’Utagawa Kuniyoshi (1827-1830). Shiraga admettait que leurs personnalités et leurs actions extrêmes avaient influencé sa propre approche de la peinture. Il a souvent abordé la lutte artistique entre la matière et le corps en termes martiaux et viscéraux, la violence et la beauté étant selon lui étroitement liées.
Selon certains critiques d’art, ces œuvres reflètent le traumatisme de la guerre et une résistance au régime militariste japonais. Malgré leur taille monumentale, les peintures de Shiraga n’étaient en réalité motivées que par les instincts immédiats de son corps. Sa technique exclut toute conception préméditée, toute arrière-pensée ou toute retouche – un principe intrinsèque aux formes traditionnelles de calligraphie qu’il avait étudiées dans sa jeunesse. Dans Chikeisei Saienshi, la toile n’est plus un écran destiné à recevoir un objet représenté ou un état d’esprit exprimé, mais un lieu d’action brute et expérimentale.
‘’I want to paint as though rushing around a battlefield, exerting myself to collapse from exhaustion.’’ - Kazuo Shiraga
With its rich swirls of impasto swept into a tumult of earthy energy, Chikeisei Saienshi (1962) is a monumental example of Kazuo Shiraga’s ‘foot paintings’. Across a canvas almost two metres wide, swathes of sculptural pigment collide and merge, evoking a clashing of bodies and limbs. Deep blacks tangle with bloody reds; splashes of ochre unite with blue to explode into green. Flashes of raw canvas reveal flung droplets of spattered colour. Using his trademark technique, Shiraga created the work from above, hanging from a rope and using his feet to manipulate pools of paint. Its loops and smears trace the drag of his heels and the grip and stamp of his toes. Shiraga was a member of the Gutai movement that emerged in Japan in the mid-1950s. By abandoning traditional tools in favour of his own body, he plunged himself into the arena of the canvas, situating his work somewhere between painting and performance art. Chikeisei Saienshi takes its title from the name of a character in Water Margin, one of the ‘Four Great Classical Novels’ in Chinese literature, known in Japanese as Suikoden. The painting was included in Shiraga Kazuo: The Water Margin Series, a 2018 exhibition in Shiraga’s hometown of Amagasaki that commemorated a decade since the artist’s passing.
Shiraga was introduced to contemporary Western art practices in 1951, when the third Yomiuri Independent Exhibition travelled to Osaka. He was particularly fascinated by the work of Jackson Pollock and Mark Rothko. At a time when Japan was discovering a new identity in the years after the Second World War, he identified with their radical individualism. The Gutai artists—exhorted by their founder Jirō Yoshihara to ‘create what has never been done before’—understood matter and spirit as existing in dialogue, seeking to express their innermost selves through the collision of body and material. Shiraga stopped using brushes and palette knives in 1954, beginning to smear paint with his hands and fingers, and then, in a flash of inspiration, his feet. At first simply stepping on paint-covered paper on the floor, he soon hung a rope from his studio ceiling in order to launch himself energetically across his canvases, smearing and splashing paint in his wake. Where Western ‘action painters’ maintained a certain remove from their various arenas—Pollock, for example, dripped from pierced paint tins, and Yves Klein would direct the action of female models to make his Anthropométries—Shiraga fused himself, body and soul, with the very fibre of his work.
Shiraga initially declined to title his foot paintings, believing that it would interfere with their reception. For practical reasons, from around 1958 he began to methodically name them after the 108 warrior outlaws of Water Margin, whose blood-soaked narratives he had enjoyed since his childhood. These characters had also been depicted in a famous series of prints by Utagawa Kuniyoshi (1827-1830). Shiraga admitted that their extreme personalities and actions informed his own all-out approach to the paintings. He often discussed the artistic struggle between material and body in martial, visceral terms, with violence and beauty closely intertwined. This aspect of Shiraga’s work has been understood to reflect the trauma of war, and a resistance to the militarist Japanese regime. For all their suggestive grandeur, however, Shiraga’s paintings were driven solely by the immediate instincts of his body. His technique excluded premeditated design, second thoughts or retouching—a principle intrinsic to the traditional forms of calligraphy he had studied in his youth. In Chikeisei Saienshi, the canvas is no longer a screen to receive a depicted object or an expressed state of mind, but a site of raw, experiential action.