拍品专文
« Tout peut être exprimé avec presque rien. » - Jean Fautrier
Dans Otage (1943) de Jean Fautrier, une forme énigmatique émerge de brumes de pigments dorés. Elle brille d’une pâleur fantomatique ; des traces violettes la traversent comme des ombres. Fautrier a travaillé la surface de l’œuvre avec de la peinture à l’huile et du papier collé sur la toile, passant de taches douces et vaporeuses à une pâte de pigments texturés et épais.
Ce tableau fait partie de la série Otages (1943-1945) qui a fortement marqué la carrière du peintre. Cette série a été inspirée par l’expérience qu’il a vécue pendant la guerre, alors qu’il vivait caché en région parisienne. Bien que sa technique soit similaire à celle des « peintures de matière » de son contemporain Jean Dubuffet, qui s’intéressait aux formes d’expression primaires, l’œuvre de Fautrier affichait un esprit plus ouvertement politique. Même si elle tend vers l’abstraction, la toile Otage insiste sur la présence matérielle et viscérale du corps. Cette œuvre a précédemment appartenu à l’éminent écrivain, critique, éditeur, et directeur la Nouvelle Revue Française, Jean Paulhan, mais également au célèbre acteur italien et cinéaste néoréaliste Vittorio de Sica.
Fautrier possède un parcours singulier. Né à Paris en 1898, il s’installe en Angleterre après le décès de son père et de sa grand-mère en 1908, et entre à la Royal Academy de Londres à l’âge de quatorze ans. De 1915 à 1917, année durant laquelle il est appelé à combattre lors de la Première Guerre mondiale, il étudie à la Slade School of Fine Art sous la direction du post-impressionniste Walter Sickert. Durant son séjour à Londres, il est fasciné par le travail de J. M. W. Turner, dont la maîtrise des nuages, de l’atmosphère et de la lumière s’inspireront durablement – et notamment dans la présente œuvre. Réformé en 1920, Fautrier devient « artiste de salon » à Paris. Son succès modéré le conduit à arrêter son activité de peintre dans les années 1930. Il travaille alors comme moniteur de ski dans les Alpes et gère un club de jazz. Il revient à Paris en 1940 et, trois ans plus tard, après des démêlés avec la police secrète, se réfugie à Châtenay-Malabry. C’est là, en entendant les exécutions de résistants dans la forêt voisine, que Fautrier se lance dans cette série des Otages.
Les Otages ont été présentés pour la première fois à la Galerie René Drouin en octobre 1945. Il s’agit de peintures spectrales, douloureuses et belles représentant des visages et des corps au milieu de champs aux couleurs rougeoyantes. La force de ces œuvres réside dans leur pouvoir de sublimation. Fautrier n’illustre pas directement la violence, mais il ne s’en détourne pas non plus. Il transmet l’idée de la blessure à travers les surfaces rugueuses et la manipulation brute des matériaux. Leur surface apparaît comme « cicatrisée », meurtrie et tachetée par des pigments en poudre mélangés à des huiles.
Ce phénomène de dissolution provoque des mélanges indéterminés de couleurs et de matériaux, comme une métaphore de l’opposition aux idéaux artistiques fascistes promus dans la France de Vichy. Complexe, délicat et profondément sensible, Otage illustre l’humanité et la beauté subtile de l’art de Fautrier.
''Everything can be expressed with almost nothing.'' - Jean Fautrier
In Jean Fautrier’s Otage (1943), an enigmatic form emerges from mists of golden pigment. It glows ghostly pale; wisps of violet flicker through it like shadows. With his typical matiériste approach, Fautrier has layered the work’s surface with oil paint and paper pasted onto canvas, building from soft, vaporous stains to a haute pâte of textural, thickly encrusted pigment. The painting is from Fautrier’s career-defining series of Otages (Hostages) (1943-1945), which were inspired by his wartime experience while living in hiding outside Paris. Although similar in technique to the ‘matter paintings’ of his contemporary Jean Dubuffet, who was interested in primal forms of expression, Fautrier’s work was more political in spirit. Blooming, bruised and visceral even as it tends towards abstraction, the present work insists on the material presence of the body. It bears extraordinary provenance, having previously been owned by Jean Paulhan—the prominent writer, critic and publisher who directed the Nouvelle Revue Française—from whom it passed into the collection of noted Italian actor and neorealist filmmaker Vittorio de Sica.
Fautrier took an unusual path for a French painter. Born in Paris in 1898, he moved to England after the deaths of his father and grandmother in 1908, and entered London’s Royal Academy aged fourteen. From 1915 until 1917—when he was called up to fight in the First World War—he studied at the Slade School of Fine Art under the post-Impressionist Walter Sickert. He became fascinated during his time in London by the works of J. M. W. Turner, whose mastery of cloud, atmosphere and light can be richly felt in works like the present. Discharged in 1920, Fautrier went on to establish himself as a moderately successful salon artist in Paris, but largely stopped painting in the 1930s, much of which he spent working as a ski instructor and managing a jazz bar in the French Alps. He returned to the capital in 1940. Three years later, after a run-in with the secret police, he sought refuge in the nearby commune of Châtenay-Malabry. It was here, where he was able to hear resistance fighters being executed in the nearby forest, that Fautrier embarked on the Otages.
The Otages were debuted at Galerie René Drouin in October 1945. They are spectral, painful and beautiful paintings that envisage primordial faces and bodies in fields of blushing, atmospheric colour. The power of these works lies in their sublimation. Fautrier does not illustrate violence directly, but nor does he turn away. He instead conveys wounding in surfaces, injury in his handling of materials. Their scarred, stucco-like roughness is bruised and mottled with powdered pastels and dilute oils. In their dissolution, indeterminacy and hazy admixtures of colour and material, the Otages can also be seen to directly oppose the Fascist artistic ideals promoted in Vichy France. Complex, delicate and deeply felt, Otage exemplifies the humanity and beauty of Fautrier’s art.
Dans Otage (1943) de Jean Fautrier, une forme énigmatique émerge de brumes de pigments dorés. Elle brille d’une pâleur fantomatique ; des traces violettes la traversent comme des ombres. Fautrier a travaillé la surface de l’œuvre avec de la peinture à l’huile et du papier collé sur la toile, passant de taches douces et vaporeuses à une pâte de pigments texturés et épais.
Ce tableau fait partie de la série Otages (1943-1945) qui a fortement marqué la carrière du peintre. Cette série a été inspirée par l’expérience qu’il a vécue pendant la guerre, alors qu’il vivait caché en région parisienne. Bien que sa technique soit similaire à celle des « peintures de matière » de son contemporain Jean Dubuffet, qui s’intéressait aux formes d’expression primaires, l’œuvre de Fautrier affichait un esprit plus ouvertement politique. Même si elle tend vers l’abstraction, la toile Otage insiste sur la présence matérielle et viscérale du corps. Cette œuvre a précédemment appartenu à l’éminent écrivain, critique, éditeur, et directeur la Nouvelle Revue Française, Jean Paulhan, mais également au célèbre acteur italien et cinéaste néoréaliste Vittorio de Sica.
Fautrier possède un parcours singulier. Né à Paris en 1898, il s’installe en Angleterre après le décès de son père et de sa grand-mère en 1908, et entre à la Royal Academy de Londres à l’âge de quatorze ans. De 1915 à 1917, année durant laquelle il est appelé à combattre lors de la Première Guerre mondiale, il étudie à la Slade School of Fine Art sous la direction du post-impressionniste Walter Sickert. Durant son séjour à Londres, il est fasciné par le travail de J. M. W. Turner, dont la maîtrise des nuages, de l’atmosphère et de la lumière s’inspireront durablement – et notamment dans la présente œuvre. Réformé en 1920, Fautrier devient « artiste de salon » à Paris. Son succès modéré le conduit à arrêter son activité de peintre dans les années 1930. Il travaille alors comme moniteur de ski dans les Alpes et gère un club de jazz. Il revient à Paris en 1940 et, trois ans plus tard, après des démêlés avec la police secrète, se réfugie à Châtenay-Malabry. C’est là, en entendant les exécutions de résistants dans la forêt voisine, que Fautrier se lance dans cette série des Otages.
Les Otages ont été présentés pour la première fois à la Galerie René Drouin en octobre 1945. Il s’agit de peintures spectrales, douloureuses et belles représentant des visages et des corps au milieu de champs aux couleurs rougeoyantes. La force de ces œuvres réside dans leur pouvoir de sublimation. Fautrier n’illustre pas directement la violence, mais il ne s’en détourne pas non plus. Il transmet l’idée de la blessure à travers les surfaces rugueuses et la manipulation brute des matériaux. Leur surface apparaît comme « cicatrisée », meurtrie et tachetée par des pigments en poudre mélangés à des huiles.
Ce phénomène de dissolution provoque des mélanges indéterminés de couleurs et de matériaux, comme une métaphore de l’opposition aux idéaux artistiques fascistes promus dans la France de Vichy. Complexe, délicat et profondément sensible, Otage illustre l’humanité et la beauté subtile de l’art de Fautrier.
''Everything can be expressed with almost nothing.'' - Jean Fautrier
In Jean Fautrier’s Otage (1943), an enigmatic form emerges from mists of golden pigment. It glows ghostly pale; wisps of violet flicker through it like shadows. With his typical matiériste approach, Fautrier has layered the work’s surface with oil paint and paper pasted onto canvas, building from soft, vaporous stains to a haute pâte of textural, thickly encrusted pigment. The painting is from Fautrier’s career-defining series of Otages (Hostages) (1943-1945), which were inspired by his wartime experience while living in hiding outside Paris. Although similar in technique to the ‘matter paintings’ of his contemporary Jean Dubuffet, who was interested in primal forms of expression, Fautrier’s work was more political in spirit. Blooming, bruised and visceral even as it tends towards abstraction, the present work insists on the material presence of the body. It bears extraordinary provenance, having previously been owned by Jean Paulhan—the prominent writer, critic and publisher who directed the Nouvelle Revue Française—from whom it passed into the collection of noted Italian actor and neorealist filmmaker Vittorio de Sica.
Fautrier took an unusual path for a French painter. Born in Paris in 1898, he moved to England after the deaths of his father and grandmother in 1908, and entered London’s Royal Academy aged fourteen. From 1915 until 1917—when he was called up to fight in the First World War—he studied at the Slade School of Fine Art under the post-Impressionist Walter Sickert. He became fascinated during his time in London by the works of J. M. W. Turner, whose mastery of cloud, atmosphere and light can be richly felt in works like the present. Discharged in 1920, Fautrier went on to establish himself as a moderately successful salon artist in Paris, but largely stopped painting in the 1930s, much of which he spent working as a ski instructor and managing a jazz bar in the French Alps. He returned to the capital in 1940. Three years later, after a run-in with the secret police, he sought refuge in the nearby commune of Châtenay-Malabry. It was here, where he was able to hear resistance fighters being executed in the nearby forest, that Fautrier embarked on the Otages.
The Otages were debuted at Galerie René Drouin in October 1945. They are spectral, painful and beautiful paintings that envisage primordial faces and bodies in fields of blushing, atmospheric colour. The power of these works lies in their sublimation. Fautrier does not illustrate violence directly, but nor does he turn away. He instead conveys wounding in surfaces, injury in his handling of materials. Their scarred, stucco-like roughness is bruised and mottled with powdered pastels and dilute oils. In their dissolution, indeterminacy and hazy admixtures of colour and material, the Otages can also be seen to directly oppose the Fascist artistic ideals promoted in Vichy France. Complex, delicate and deeply felt, Otage exemplifies the humanity and beauty of Fautrier’s art.