拍品專文
« Je me plais, pour mon propre compte, à trouver des beautés nouvelles, sur une voie tout autre que les voies usuelles. » - Jean Dubuffet
« J’éprouve que les choses réputées laides sont ainsi réputées sans aucune raison, et ne sont pas moins belles que les choses réputées belles. » - Jean Dubuffet
Ces quelques lignes écrites en janvier 1951 par Jean Dubuffet à Pierre Matisse, son galeriste à New York, entendent réconforter ce dernier face au choc provoqué par la nouvelle exposition des œuvres de l’artiste.
En effet, la dernière série de toiles débutée par l’artiste en avril 1950 aborde avec une frontalité inouïe et une vérité nue sans précédent le sujet de la femme, sous le titre désormais emblématique des Corps de Dames. Avec cet ensemble relativement restreint qui ne comprend que trente-six toiles, Dubuffet provoque un impact visuel inédit auprès de la critique et du public et la réception est alors assez virulente à l’encontre de ce ‘sacrilège’ fait à la femme. L’histoire de l’art est parsemée de scandales dont les plus retentissants ont très souvent été liés au corps de la femme, à l’image de l’Olympia de Manet, que Dubuffet se plaît à citer indirectement en intitulant de la même manière un de ses Corps de Dames.
Cette figure féminine, ou plus exactement ce corps comme le fait remarquer Max Loreau, tire ses origines des Paysages grotesques réalisés précédemment par l’artiste, qui fait désormais de la femme un paysage à part entière, le réceptacle de cette folle exploration de la matière qu’il poursuit depuis plusieurs années.
Avec Sang et Feu (Corps de dame aux chairs rôties et rissolées), Dubuffet ne s’attaque pas au portrait mais bien au nu, et ce n’est par conséquent pas une femme qui est peinte, mais l’image même de la femme qu’il entend retrouver à travers la matière posée sur la toile. Il réduit la figure, le visage, à sa plus simple expression, et la repousse vers le haut du tableau, centrant l’ensemble de la composition sur le sujet essentiel de cette série : le corps.
Pour Dubuffet, ce corps féminin devient un champ d'exploration, une porte ouverte vers la possibilité de retrouver une réalité où se confondent l'homme et la nature imbriqués dans une même matière picturale. La chair du corps est comme une boue, une glaise dans laquelle l'artiste a tracé dans sa plus simple expression les symboles ancestraux de la féminité, seins, nombril et sexe qui viennent ici donner un visage primaire à cette masse de chair et de terre. Dubuffet souhaite trouver dans cette résurgence de la nature au travers de l'humain, la véritable expression de ce qui anime le corps.
Très proche du peintre Alfonso Ossorio, il lui a d’ailleurs écrit au sujet de ses peintures : « Ces interférences de l’humain au non-humain, de l’organique à l’inorganique, d’un règne à un autre règne, du monde des genèses à celui des décrépitudes, du principe de vie au principe de mort, se retrouvent dans toutes vos œuvres, et me paraissent manifester, chez vous comme chez moi, d’un sentiment très fort du caractère unique et uniforme des rythmes de tous les êtres de ce monde – principe unique dans lequel le bien et le mal, la vie et la mort, viennent se marier et se confondre. » (Lettre à A. Ossorio, 31 janvier 1951).
Dans cette œuvre, Dubuffet emploie une technique autodidacte où la trace du peintre est délibérément visible, laissant dans la matière son empreinte de manière primaire, nous renvoyant aux prémices de la figuration, tant au regard des premières peintures rupestres que des premiers dessins d'enfant.
Comme il le souligne : « Cette manifestation brutale, dans le tableau, des moyens matériels employés par le peintre pour la suscitation des objets représentés, et qui sembleraient empêcher ceux-ci [...] de prendre corps, fonctionne en réalité pour moi à l'inverse : elle me paraît, au contraire paradoxalement, donner à ces objets une présence accrue plus étonnante, plus impressionnante. » (Dubuffet, Notes du peintre, in G. Limbour, L'art brut de Jean Dubuffet. Tableau bon levain à vous de cuire la pâte, Pierre Matisse, New York, 1953).
Le corps de la femme est ainsi mis à nu, aplati, exposé de la manière la plus implacable qui soit pour le spectateur, qui reçoit en pleine face cette brutalité de la peinture. Cette image violente ne l'est que pour faire ressortir toute l'intensité contenue par le sujet. La dame de Dubuffet possède une forme de poésie, de mélancolie liée à cette simplicité apparente du dessin qui lui confère une dimension toute autre.
Comme l’écrit James Fitzsimmons : « Le lecteur me pardonnera si, moi, je n’approche au contraire les Corps de Dames, qu’indirectement et avec quelques précautions car ces toiles sont fortement chargées, plus même que les femmes de De Kooning, pourtant assez meurtrières. [...] Ce ne sont pas des individus, des femmes en particulier, ce sont des femmes, l’être femelle plutôt, des manifestations d’un archétype - de la grande mère et prostituée dévoratrice, dispensatrice de plaisir, infiniment prolifique, rose de jardin, araignée et ourse tout ensemble. » (0. Fitzsimmons, Jean Dubuffet, Brève introduction à son œuvre, Bruxelles, 1958, pp. 23-27).
« J’aspire à un art qui soit directement branché sur notre vie courante, un art qui prenne départ dans cette vie courante, qui soit de notre vraie vie et nos vraies humeurs, une émanation immmédiate. » - Jean Dubuffet
“I take pleasure, on my own account, in finding new beauties, in a quite different way from the usual ones.” - Jean Dubuffet
“I feel that things reputed to be ugly are reputed to be so for no reason, and are no less beautiful than things reputed to be beautiful.” - Jean Dubuffet
These few lines, written in January 1951 by Jean Dubuffet to Pierre Matisse, his art dealer in New York, were intended to comfort the latter in the face of the shock provoked by the new exhibition of the artist's work.
Indeed, Dubuffet's last series of canvases, begun in April 1950, tackled the subject of women with unprecedented frontality and naked truth, under the now emblematic title Corps de Dames. With this relatively small body of work, comprising just thirty-six canvases, Dubuffet triggered an unprecedented visual impact amongst critics and the public alike— the reception was quite hostile against this ‘sacrilege’ done to women. History of art is sprinkled with scandals, the most resounding of which have very often been linked to the female body, like Manet's Olympia, which Dubuffet enjoyed mentioning indirectly by giving the same title to one of his Corps de Dames.
This female figure, or more precisely this body as Max Loreau points out, has its origins in the artist's earlier Paysages grotesques, in which he transforms women into landscapes in their own right, a receptacle for the mad exploration of matter he has been pursuing for several years.
With Sang et Feu (Corps de dame aux chairs rôties et rissolées), Dubuffet tackles the nude rather than the portrait, and so it is not a woman who is painted, but the very image of the woman he intends to rediscover through the material placed on the canvas. He reduces the figure, the face, to its simplest expression, and pushes it to the top of the painting, focusing the whole composition on the essential subject of this series: the body.
For Dubuffet, the female body becomes a field of exploration, an open door to the possibility of rediscovering a reality where man and nature merge in the same pictorial material. The flesh of the body is like mud, a clay in which the artist traces in its simplest expression the ancestral symbols of femininity: breasts, navel and sex, which here provide a primary face to this mass of flesh and earth. In this resurgence of nature through the human, Dubuffet wished to find the true expression of what animates the body.
Very close to the painter Alfonso Ossorio, he actually wrote to him about his paintings:
“These interferences from human to non-human, from organic to non-organic, from one kingdom to another, from the world of genesis to that of decay, from the principle of life to the principle of death, are to be found in all your works, and seem to me to manifest, in you as in me, a very strong sense of the unique and uniform character of the rhythms of all beings in this world - a unique principle in which good and evil, life and death, are married and merge. ” (Letter to A. Ossorio, January 31, 1951).
In this work, Dubuffet employs a self-taught technique in which the painter's track is deliberately visible, leaving his primary imprint in the material, taking us back to the beginnings of figuration, both in terms of prehistoric cave paintings and early childhood drawings.
As he points out: “This brutal manifestation, in the painting itself, featuring the material means employed by the painter to elicit the objects represented, and which would seem to prevent them [...] from taking shape, actually works the other way round for me: it seems to me, on the contrary, paradoxically, to give these objects a more astonishing, more impressive presence.” (Dubuffet, Notes du peintre, in G. Limbour, L'art brut de Jean Dubuffet. Tableau bon levain à vous de cuire la pâte, Pierre Matisse, New York, 1953).
The woman's body is laid bare, flattened, exposed in the most implacable way possible for the viewer, who receives the brutality of the painting right in the face. This violent image is used only to bring out all the intensity of the subject. Dubuffet's Lady possesses a kind of poetry, a melancholy linked to the apparent simplicity of the drawing, which gives it an entirely different dimension.
As James Fitzsimmons writes: “The reader will forgive me if I, on the other hand, approach Corps de Dames only indirectly and with some caution, for these canvases are highly charged, even more so than De Kooning's women, who happen to be quite deadly. [...] They are not individuals, women in particular, they are women, the female being rather, manifestations of an archetype - of the grandmother and a devouring prostitute, dispenser of pleasure, infinitely prolific, garden rose, spider and she-bear all at once.”
(J. Fitzsimmons, Jean Dubuffet, Brève introduction à son œuvre, Brussels, 1958, pp. 23-27).
“I aspire to an art that is directly connected to our everyday life, an art that begins in this everyday life, that is of our real life and our real moods, an immediate emanation.” - Jean Dubuffet
« J’éprouve que les choses réputées laides sont ainsi réputées sans aucune raison, et ne sont pas moins belles que les choses réputées belles. » - Jean Dubuffet
Ces quelques lignes écrites en janvier 1951 par Jean Dubuffet à Pierre Matisse, son galeriste à New York, entendent réconforter ce dernier face au choc provoqué par la nouvelle exposition des œuvres de l’artiste.
En effet, la dernière série de toiles débutée par l’artiste en avril 1950 aborde avec une frontalité inouïe et une vérité nue sans précédent le sujet de la femme, sous le titre désormais emblématique des Corps de Dames. Avec cet ensemble relativement restreint qui ne comprend que trente-six toiles, Dubuffet provoque un impact visuel inédit auprès de la critique et du public et la réception est alors assez virulente à l’encontre de ce ‘sacrilège’ fait à la femme. L’histoire de l’art est parsemée de scandales dont les plus retentissants ont très souvent été liés au corps de la femme, à l’image de l’Olympia de Manet, que Dubuffet se plaît à citer indirectement en intitulant de la même manière un de ses Corps de Dames.
Cette figure féminine, ou plus exactement ce corps comme le fait remarquer Max Loreau, tire ses origines des Paysages grotesques réalisés précédemment par l’artiste, qui fait désormais de la femme un paysage à part entière, le réceptacle de cette folle exploration de la matière qu’il poursuit depuis plusieurs années.
Avec Sang et Feu (Corps de dame aux chairs rôties et rissolées), Dubuffet ne s’attaque pas au portrait mais bien au nu, et ce n’est par conséquent pas une femme qui est peinte, mais l’image même de la femme qu’il entend retrouver à travers la matière posée sur la toile. Il réduit la figure, le visage, à sa plus simple expression, et la repousse vers le haut du tableau, centrant l’ensemble de la composition sur le sujet essentiel de cette série : le corps.
Pour Dubuffet, ce corps féminin devient un champ d'exploration, une porte ouverte vers la possibilité de retrouver une réalité où se confondent l'homme et la nature imbriqués dans une même matière picturale. La chair du corps est comme une boue, une glaise dans laquelle l'artiste a tracé dans sa plus simple expression les symboles ancestraux de la féminité, seins, nombril et sexe qui viennent ici donner un visage primaire à cette masse de chair et de terre. Dubuffet souhaite trouver dans cette résurgence de la nature au travers de l'humain, la véritable expression de ce qui anime le corps.
Très proche du peintre Alfonso Ossorio, il lui a d’ailleurs écrit au sujet de ses peintures : « Ces interférences de l’humain au non-humain, de l’organique à l’inorganique, d’un règne à un autre règne, du monde des genèses à celui des décrépitudes, du principe de vie au principe de mort, se retrouvent dans toutes vos œuvres, et me paraissent manifester, chez vous comme chez moi, d’un sentiment très fort du caractère unique et uniforme des rythmes de tous les êtres de ce monde – principe unique dans lequel le bien et le mal, la vie et la mort, viennent se marier et se confondre. » (Lettre à A. Ossorio, 31 janvier 1951).
Dans cette œuvre, Dubuffet emploie une technique autodidacte où la trace du peintre est délibérément visible, laissant dans la matière son empreinte de manière primaire, nous renvoyant aux prémices de la figuration, tant au regard des premières peintures rupestres que des premiers dessins d'enfant.
Comme il le souligne : « Cette manifestation brutale, dans le tableau, des moyens matériels employés par le peintre pour la suscitation des objets représentés, et qui sembleraient empêcher ceux-ci [...] de prendre corps, fonctionne en réalité pour moi à l'inverse : elle me paraît, au contraire paradoxalement, donner à ces objets une présence accrue plus étonnante, plus impressionnante. » (Dubuffet, Notes du peintre, in G. Limbour, L'art brut de Jean Dubuffet. Tableau bon levain à vous de cuire la pâte, Pierre Matisse, New York, 1953).
Le corps de la femme est ainsi mis à nu, aplati, exposé de la manière la plus implacable qui soit pour le spectateur, qui reçoit en pleine face cette brutalité de la peinture. Cette image violente ne l'est que pour faire ressortir toute l'intensité contenue par le sujet. La dame de Dubuffet possède une forme de poésie, de mélancolie liée à cette simplicité apparente du dessin qui lui confère une dimension toute autre.
Comme l’écrit James Fitzsimmons : « Le lecteur me pardonnera si, moi, je n’approche au contraire les Corps de Dames, qu’indirectement et avec quelques précautions car ces toiles sont fortement chargées, plus même que les femmes de De Kooning, pourtant assez meurtrières. [...] Ce ne sont pas des individus, des femmes en particulier, ce sont des femmes, l’être femelle plutôt, des manifestations d’un archétype - de la grande mère et prostituée dévoratrice, dispensatrice de plaisir, infiniment prolifique, rose de jardin, araignée et ourse tout ensemble. » (0. Fitzsimmons, Jean Dubuffet, Brève introduction à son œuvre, Bruxelles, 1958, pp. 23-27).
« J’aspire à un art qui soit directement branché sur notre vie courante, un art qui prenne départ dans cette vie courante, qui soit de notre vraie vie et nos vraies humeurs, une émanation immmédiate. » - Jean Dubuffet
“I take pleasure, on my own account, in finding new beauties, in a quite different way from the usual ones.” - Jean Dubuffet
“I feel that things reputed to be ugly are reputed to be so for no reason, and are no less beautiful than things reputed to be beautiful.” - Jean Dubuffet
These few lines, written in January 1951 by Jean Dubuffet to Pierre Matisse, his art dealer in New York, were intended to comfort the latter in the face of the shock provoked by the new exhibition of the artist's work.
Indeed, Dubuffet's last series of canvases, begun in April 1950, tackled the subject of women with unprecedented frontality and naked truth, under the now emblematic title Corps de Dames. With this relatively small body of work, comprising just thirty-six canvases, Dubuffet triggered an unprecedented visual impact amongst critics and the public alike— the reception was quite hostile against this ‘sacrilege’ done to women. History of art is sprinkled with scandals, the most resounding of which have very often been linked to the female body, like Manet's Olympia, which Dubuffet enjoyed mentioning indirectly by giving the same title to one of his Corps de Dames.
This female figure, or more precisely this body as Max Loreau points out, has its origins in the artist's earlier Paysages grotesques, in which he transforms women into landscapes in their own right, a receptacle for the mad exploration of matter he has been pursuing for several years.
With Sang et Feu (Corps de dame aux chairs rôties et rissolées), Dubuffet tackles the nude rather than the portrait, and so it is not a woman who is painted, but the very image of the woman he intends to rediscover through the material placed on the canvas. He reduces the figure, the face, to its simplest expression, and pushes it to the top of the painting, focusing the whole composition on the essential subject of this series: the body.
For Dubuffet, the female body becomes a field of exploration, an open door to the possibility of rediscovering a reality where man and nature merge in the same pictorial material. The flesh of the body is like mud, a clay in which the artist traces in its simplest expression the ancestral symbols of femininity: breasts, navel and sex, which here provide a primary face to this mass of flesh and earth. In this resurgence of nature through the human, Dubuffet wished to find the true expression of what animates the body.
Very close to the painter Alfonso Ossorio, he actually wrote to him about his paintings:
“These interferences from human to non-human, from organic to non-organic, from one kingdom to another, from the world of genesis to that of decay, from the principle of life to the principle of death, are to be found in all your works, and seem to me to manifest, in you as in me, a very strong sense of the unique and uniform character of the rhythms of all beings in this world - a unique principle in which good and evil, life and death, are married and merge. ” (Letter to A. Ossorio, January 31, 1951).
In this work, Dubuffet employs a self-taught technique in which the painter's track is deliberately visible, leaving his primary imprint in the material, taking us back to the beginnings of figuration, both in terms of prehistoric cave paintings and early childhood drawings.
As he points out: “This brutal manifestation, in the painting itself, featuring the material means employed by the painter to elicit the objects represented, and which would seem to prevent them [...] from taking shape, actually works the other way round for me: it seems to me, on the contrary, paradoxically, to give these objects a more astonishing, more impressive presence.” (Dubuffet, Notes du peintre, in G. Limbour, L'art brut de Jean Dubuffet. Tableau bon levain à vous de cuire la pâte, Pierre Matisse, New York, 1953).
The woman's body is laid bare, flattened, exposed in the most implacable way possible for the viewer, who receives the brutality of the painting right in the face. This violent image is used only to bring out all the intensity of the subject. Dubuffet's Lady possesses a kind of poetry, a melancholy linked to the apparent simplicity of the drawing, which gives it an entirely different dimension.
As James Fitzsimmons writes: “The reader will forgive me if I, on the other hand, approach Corps de Dames only indirectly and with some caution, for these canvases are highly charged, even more so than De Kooning's women, who happen to be quite deadly. [...] They are not individuals, women in particular, they are women, the female being rather, manifestations of an archetype - of the grandmother and a devouring prostitute, dispenser of pleasure, infinitely prolific, garden rose, spider and she-bear all at once.”
(J. Fitzsimmons, Jean Dubuffet, Brève introduction à son œuvre, Brussels, 1958, pp. 23-27).
“I aspire to an art that is directly connected to our everyday life, an art that begins in this everyday life, that is of our real life and our real moods, an immediate emanation.” - Jean Dubuffet