Piero Manzoni (1933-1963)
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Provenant d'une Collection Particulière Européenne
Piero Manzoni (1933-1963)

Achrome

Details
Piero Manzoni (1933-1963)
Achrome
kaolin sur toile froissée
40 x 60 cm.
Exécuté vers 1958

kaolin on creased canvas
15 ¾ x 23 5⁄8 in.
Executed circa 1958
Provenance
Collection Magliano, Milan.
Galleria Eva Menzio, Turin.
Collection particulière, Europe (acquis auprès de celle-ci à la fin des années 1970).
Puis par descendance au propriétaire actuel.
Literature
G. Celant, Piero Manzoni. Catalogo generale, Milan, 1975, no. 48 cg (illustré, p. 136)
P. Battino and L. Palazzoli, Piero Manzoni. Catalogue Raisonné, Milan, 1991, no. 410 BM (illlustré, p. 290; medium erroné; daté '1959').
G. Celant, Piero Manzoni. Catalogo generale, Milan, 2004, vol. II, no. 327 (illustré, p. 443).
Exhibited
Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Piero Manzoni, février-mars 1971, no. 28 (daté '1958-59').

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Lot Essay

'Pourquoi ne libèrerait-on pas cette surface ? Pourquoi ne tenterait-on pas de découvrir la portée illimitée d'un espace total, d'une lumière pure et absolue?'

Piero Manzoni

Exécutée en 1958 et conservée dans la même famille depuis plus de quarante ans, cette œuvre aux froissures élégantes est l'un des premiers Achromes de Piero Manzoni. Amorcée en 1957, cette emblématique série de toiles monochromes sera poursuivie par l'artiste jusqu'à sa mort tragique six ans plus tard, à vingt-neuf ans seulement. Les Achromes de Manzoni se distinguent par leurs surfaces d'un blanc immaculé, obtenues en trempant la toile brute (souvent altérée, plissée, froncée au préalable) dans du kaolin liquide, une argile incolore utilisée dans la fabrication de la porcelaine. Une fois sec, le kaolin durci enveloppe l'ensemble comme une gangue délicate, préservant à la manière d'un fossile la forme autrefois souple de la toile, désormais figée dans l'éternité de ses ondulations. Ici, une bande de plis horizontale et compacte s'étend au centre de l'œuvre, évoquant une matière brute qui se contracterait sous le poids de sa propre densité, comme une peau se fripant au fil du temps, ou du papier se gondolant sous l'effet de l'humidité. Tout un procédé grâce auquel Manzoni cherche à émanciper la surface du tableau de la touche de l'artiste: affranchie de son rôle traditionnel de support, la toile n'est plus un simple réceptacle voué à contenir des formes et des couleurs. Avec l'« achrome », la voilà devenue un objet d'art autonome, sans dieu ni maître.

Après la vague existentialiste qui avait déferlé sur l'art européen d'après-guerre (et dont l'art informel fut sans doute l'expression la plus pure), le « spatialisme » de Lucio Fontana avait fait du tableau le théâtre d'une tabula rasa reflétant les avancées techniques de l'ère spatiale. C'est dans ce contexte que la Galleria Apollinaire et la Galleria del Naviglio révèlent en 1957 au public milanais les monochromes bleus d'Yves Klein et les Sacchi de jute ravaudée d'Alberto Burri : deux révélations qui auront une influence déterminante sur la trajectoire artistique de Manzoni. L'année suivante, il se rend à Paris puis aux Pays-Bas, où il découvre les travaux de la branche néerlandaise du groupe ZERO (fondé par Otto Piene à Düsseldorf), dont les recherches autour de la lumière et de l'espace résonnent avec sa propre volonté d'envisager la toile comme un pur « espace de liberté ». Dans le paysage artistique des années 1960, sa démarche trouvera un fort écho auprès de minimalistes américains comme Donald Judd, Sol Lewitt ou Frank Stella, lesquels composent volontiers des œuvres-objets à partir de matériaux glanés dans des quincailleries et des décharges. Par leur blancheur toute virginale, les Achromes préfigurent aussi l'évolution de tout un courant de l'art minimal et conceptuel des dix années suivantes, très proches de la quête de pureté absolue de Manzoni ; une quête née dans l'effervescence de la scène milanaise des années 1960, aux côtés des non moins révolutionnaires tagli de Fontana et Superfici d'Enrico Castellani.

Manzoni découvre le kaolin dans les ateliers de céramique d'Albisola, petite ville balnéaire qu'il fréquente depuis son enfance. Lors de ses toutes premières expériences « achromes », il choisit de laisser la toile intacte : en adhérant tout simplement au tissage lisse du support, le kaolin produit sur ces œuvres précoces un effet qui n'est pas sans rappeler la surface rugueuse d'un mur de pierre. Très vite, Manzoni se met à intervenir sur ses toiles, les froissant ou les plissant avant de les recouvrir de leur voile d'argile. Dans cette œuvre-ci, le liquide se faufile entre les replis de la frise centrale, s'accrochant fermement à la fibre jusqu'au plus profond de ses sillons. Très sculptural, le résultat évoque la surface ondoyante de l'eau, ou le mouvement d'un drapé flottant. Déterminé à ramener la peinture à ce qu'il considère comme son état primitif, Manzoni prétend ainsi créer un espace entièrement offert à la lumière, voire au sacré. En libérant le tableau des contraintes de la figuration, de la couleur et de la représentation, il renonce volontairement à son pouvoir d'« artiste » pour revendiquer, au contraire, la souveraineté absolue de la toile.

Manzoni considérait le blanc comme le meilleur moyen d'affranchir la toile de ses carcans : une « non-couleur » libre de la moindre signification, insoumise, même, à toute connotation symbolique de pureté ou d'infini. Il aspirait en ce sens à créer une surface blanche « sans rapport avec un quelconque phénomène pictural, [...] une surface blanche qui soit une surface blanche et rien d'autre (une surface incolore qui ne soit qu’une surface incolore) voire mieux encore, qui soit, un point c'est tout : être (car être absolument, c'est purement devenir). » Selon Manzoni, une fusion presque mystique des matériaux s'opère entre la fibre brute et le kaolin qui l' « imprègne »: comme un moule ou une carapace, l'argile vient exalter la présence de la toile, lui donnant littéralement « corps ». Avec l'Achrome, le tableau sans image devient ainsi une matière solide ayant pour seule fonction d'exister par elle-même. Ou comment redéfinir radicalement l'idée-même de l'objet d'art. « Pourquoi ne libèrerait-on pas cette surface?, se demandait Manzoni. Pourquoi ne tenterait-on pas de découvrir la portée illimitée d'un espace total, d'une lumière pure et absolue? » (P. Manzoni, ‘Free Dimension’, Azimuth, n° 2, 1960, n.p.).

'Why not liberate this surface? Why not attempt to discover the limitless significance of a total space, of a pure and absolute light?'

Piero Manzoni

Executed in 1958 and held in the same family collection for more than four decades, the present work is an elegant, early example of Piero Manzoni’s celebrated
Achromes. Manzoni had first begun the visionary series the year prior and would continue to develop its monochrome canvases until his premature death six years later, at the age of just twenty-nine. The Achromes are characterised by their stark white surfaces, created by soaking raw, often manipulated canvas in liquid kaolin, a colourless clay commonly used in the production of porcelain. Left to dry, the clay became hard and brittle, a fossil-like preserve of the canvas’ once malleable and still gently undulating form. In the present work, a band of tight creases ripples from edge to edge across the horizontal midpoint of the canvas. The impression is of sheer matter buckling under its own density, like wrinkles in skin or the warping of damp paper. With the Achromes, Manzoni sought to liberate the picture plane from his own hand; no longer a mere receptacle for colour and form, the canvas would surpass its traditional role as support to become an autonomous art object.

After the existentialism which had gripped artists in Europe in the immediate aftermath of the Second World War—epitomised by those working under the banner of Art Informel—Lucio Fontana’s Spatialism had looked to the canvas as a
tabula rasa, defined by its proximity to burgeoning advancements in technology and space exploration. In 1957, the Galleria Apollinaire and Galleria del Naviglio brought Yves Klein’s blue monochromes and Alberto Burri’s stitched Sacchi respectively to Milan; the encounter with both artists would be formative for Manzoni. The following year he traveled to Paris and Holland, meeting in the latter with the Dutch outpost of Otto Piene’s Düsseldorf-based Zero group, whose investigations of light and space aligned with Manzoni’s evolving vision of the canvas as an autonomous ‘area of liberty’. Across the 1960s parallels can also be seen with the work of American Minimalists such as Donald Judd, Sol Lewitt, and Frank Stella, who found their materials in DIY stores and scrap-metal yards. Manzoni’s crisp white Achromes anticipated the evolution of Minimal and Conceptual art across the ensuing decade, an eloquent distillation of the artist’s search for material purity, developed alongside Fontana’s similarly groundbreaking tagli and Enrico Castellani’s Superfici within the vibrant modernist milieu of late-1950s Milan.

Manzoni encountered kaolin at ceramic workshops in the seaside town of Albisola, where he had holidayed since childhood. For earliest Achromes he left the raw canvas untouched, so that the kaolin clung only to its soft weave in an effect suggestive of roughly worn stone walls. Quickly he began to introduce series of wrinkles and folds across the surface of the canvas. In the present work, the liquid kaolin seeps fluidly across Achrome’s central band of grooves and ripples, clinging to the texture of the canvas and pooling in its newly formed crevices. Manzoni’s pleats and folds produce a visual foil to the expanse of the untouched canvas, its sculptural surface evocative of gently rippling water or draped fabric. Returning painting to what he saw as its primordial, virginal state, it becomes a luminous, almost numinous spatial environment. Purging the picture plane of colour, narrative or iconography, Manzoni freely relinquishes artistic control and triumphantly asserts the intrinsic autonomy of the canvas.

In the colour white Manzoni identified the ultimate means by which to free the canvas. He conceived of white as a ‘non-colour’, uninhibited by even symbolic connotations of purity or infinity. Accordingly, he desired to forge a white surface ‘completely unrelated to any pictorial phenomenon ... a white surface that is a white surface and nothing more (a colourless surface that is a colourless surface), better still that just is: to be (and total being is pure becoming)’. He spoke of the raw canvas as being ‘impregnated’ by the kaolin in an almost mystical convergence of matter: as a kind of mould or armour the kaolin drew attention—literally gave life—to the intrinsic materiality of the canvas. In Achrome, the imageless canvas becomes something autonomous and absolute through Manzoni’s radical redefinition of the art object. ‘Why not liberate this surface?’ Manzoni asked. ‘Why not attempt to discover the limitless significance of a total space, of a pure and absolute light?’ (P. Manzoni, ‘Free Dimension’, Azimuth, no. 2, 1960, n.p.).

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